Aujourd’hui, on dirait de lui qu’il est un «
infiltré » parce qu’il mène une double vie, celle de Lorenzo, surnommé
par sa mère Lorenzino, le pur et le généreux qui a décidé de se dévouer à
la liberté; et celle du débauché, du corrompu, qui mérite le surnom
méprisant de Lorenzaccio dont l’affublent les Florentins.
La pièce de Musset, qui noue plusieurs intrigues parallèles,
s’articule autour de ce double jeu. L’histoire se passe en 1537.
Florence vit sous le joug d’une brute sanguinaire, le duc Alexandre,
bâtard des Médicis. Son cousin Lorenzo passe pour son compagnon de
luxure, poltron et sans scrupules. Un trompe-l’œil où le héros lui-même
finira par se perdre.
Lorenzaccio de Musset est une pièce fleuve, à tiroirs, à intrigues, on n'est pas loin de House of Cards chez les Médicis. Comme quoi nos (anti-)héros modernes n'inventent rien.
Sacrée fresque, sacré texte, il fallait le courage d'un metteur en scène exigeant,
"porteur du théâtre de texte et de langue", pour adapter ce fleuron du
drame romantique français. Gérald Garutti s'y colle, et avec une troupe de 30 comédiens (dont 13 amateurs pour le choeur).
Culotté, car le texte est loin d'être facile: j'avoue je mets un peu de temps à "rentrer" dans la pièce : pour la simple et bonne raison que j'y vais sans avoir vraiment révisé l'histoire avant... vous voilà prévenus!
Là où réside l'intelligence et la beauté de ce spectacle, outre le talent indéniable de ses interprètes (j'y reviens), c'est dans la scénographie : Garutti s'attaque à un sacré morceau, et opte donc pour un cadre tout simple : un plateau vide délimité en carré par des draps suspendus. D'où surgiront à l'envie comédiens, choeurs, éléments de décor discrets et, souvent, de grandes bandes de tissu (drapeau/bannière jaune, soie bleue...) qui serviront autant d'élément de décor que de transition entre les scènes, ou encore de costume.
C'est d'une fluidité remarquable, apportant légèreté et poésie aux transitions entre les scènes.
Autre association brillante : la musique. Elle est à la fois discrète et sait se faire indispensable dans les scènes dramatiques (dont la dernière, tableau frappant).
La distribution, enfin : il fallait des comédiens de taille pour relever ce défi et rendre la pièce intelligible, haletante, inexorable.
C'est chose faite avec entre autres Stanislas Roquette (Lorenzaccio), Olivier Constant (Cardinal Cibo) et Claude-Bernard Pérot (Philippe Strozzi), sacrés passeurs du texte de Musset.
Avec une trentaine de comédiens sur scène, sur une pièce fleuve, la gageure est relevée et donne envie de voir plus souvent de ce théâtre engagé, de troupe, qui donne à voir et à réfléchir.